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Olivier Roller ne photographie que les têtes, de près, détachées des corps. Les marques des visages sont montrées, examinées, auscultées. On ne regarde effectivement jamais les visages. En parlant à quelqu'un, on conserve toujours une certaine pudeur ; on ne fixe que ses yeux, ou plutôt, on voyage d'un œil à l'autre. Pourtant, le visage est nu, offert au regard. L'interlocuteur apparaît troublé sitôt que l'on regarde fixement le galbe des joues, la carnation des lèvres ou le relief d'une cicatrice sur le front. Nous sommes éduqués à regarder dans l'ensemble, on ne détaille l'autre qu'à son insu. Olivier Roller formule la proposition suivante : pour voir, il faut s'approcher d'un élément isolé de son contexte, il faut regarder le détail.

Dans les portraits d'empereurs romains le fragment est présent avant la prise de vue. C'est le matériau primordial, né de la fracture de l’œuvre antique. Des statues d'Auguste en pied ne demeurent aujourd'hui que la tête abîmée, le nez brisé. Dans l'Antiquité, les statues étaient la matérialisation du pouvoir et permettaient, à tous, de connaître le visage du chef et les orientations idéologiques de son autorité. Une fois mort, un nouveau chef faisait détruire et remplacer ces représentations, quand le défunt n'était pas divinisé. Le marbre des corps était réemployé, la tête remplacée, et l'ancienne, jetée.

Cette fracture antique qu'est la décapitation rend l'image possible. Le photographe saisit la décadence d'un pouvoir, les deux mille ans que la tête a passé sous terre, ce visage marqué par le temps, abîmé, scarifié. Les travaux de construction d'un building, d'une route, d'un parking, la ramènent à la surface ; la terre recrache alors ce qu'elle a avalé. Terre monstrueuse qui patine, dégrade et pourrit ceux qu'elle dévore, et maternelle qui protège ces visages de pierre de la folie humaine.
Voici le matériau d'Olivier qui ne devient tel que par l'action iconoclaste des hommes puis par ce double processus de disparition et d'exhumation. Cadrant, coupant le visage au plus tard, lui ôtant ce qu'il a de superflu, le processus de création est le même que pour les portraits de contemporains et n'ont pas pour vocation de glorifier un passé perdu. Elles sont réalisées avec un appareil numérique actuel, puis agrandies jusqu'à ce que le pixel affronte le grain de la pierre qui se désagrège au fur et à mesure que l'image s'impose, pouvant le remplacer ; les matières s'affrontent tandis que le photographe anime une surface sans vie. Il projette alors l'image d'un visage en cours de destruction accélérée. Les vivants sont photographiés de manière à être statufiés. Ici, c'est le contraire : le puissant est ressuscité, ranimé depuis les morts. Ainsi, est rendu contemporain et quelquefois vivant ce fragment de marbre sculpté où chaque brisure, chaque éraflure, valant pour nos propres rides et cicatrices, rappellent notre vanité.
Qu'importe sa grandeur, tout pouvoir est voué à disparaître ; il en fut ainsi de l'Empire romain. L'historien Pierre Pachet a écrit : « Personne ne croit vraiment à la mort des créations humaines. Les sociétés ne sont pas différentes, et l'acharnement dont use la notre à rendre la vie à tant de restes anciens est le signe de ce poignant refus. La reconstruction d'un passé prestigieux suffira peut-être à rendre impossible l'abominable destruction de l'avenir que nous ne savons pas empêcher. Plus que leurs secrets, c'est notre secret que nous devons demander aux fragments.