SERIES EXPOSITIONS - exhibitions INFOS - bio, press, contact NEWS ARCHIVES
 

FACE(S)

31 écrivains écrivent face au portrait que j'ai fait d'eux

240 pages - format 14X17cm - cahiers cousus

prix de vente : 20euros
tirage de tête : 200 euros limité à 20 exemplaires numérotés-signés accompagné d'un tirage original.

240 pages, sewn binding, black and white
31 writers react on the portrait i made of them - an illustrated interview is included in the book
price : 20 euros (+3,50 euros for shipping), also, numbered and signed copies available with an original photograph (20) price : 200 euros

   
 
  RAYMOND FEDERMAN
 

  JACQUES SERENA
 

Bon, comment te dire, en essayant de rester un peu élégant, of course je me hais, ou plutôt je hais ce type, qui n'est pas moi, rien à voir, ce taré d'inconnu, ce sale con, ce frimeur gras des joues et blanc de poil, tête à claques, contrairement à moi qui ai le visage buriné, les cheveux à peine poivre et sel avec encore assez peu de sel, moi qui ai un charme évident, tu peux demander, tout le monde te le dira, cet individu grotesque, on dirait à la rigueur une espèce de cousin de Vichy, ou peut-être mon andouille de frère René, d'une enfance heureusement lointaine et floue, de ces frères qui tournent mal en suralimentés joviaux, comme la plupart des frères, écoute, Olivier, je suis d'accord qu'il peut être intéressant de montrer quelqu'un sous un jour inhabituel, une autre facette de lui, oui, mais quand ce n'est pas du tout lui, aucun rapport, au contraire,

non, sois raisonnable, jette à la poubelle, pense à autre chose, c'est pas grave, on a perdu un peu de papier, un peu de produit, mais bon, la vie est longue, on se reverra, et déjà si au moins tu remettais du foncé, sur la figure, du contraste, comme j'en ai dans la vie, je t'assure, ce serait un peu moins lunaire, moins fadasse, moins praline, parce que dans le réel je ne suis ni praline ni fadasse ni lunaire, je te promets, écoute, je ne sais pas pourquoi tu veux me carboniser à ce point, tu m'en veux, dis-moi, une vieille histoire de fille entre nous que j'aurais oubliée, une nuit à Strasbourg, peut-être Maïa, ou Ludivine, ma foi, en tout cas, si ce n'est pas par méchanceté, pas exprès, même pas, je te le dis, cette photo, c'est grave, crois-moi, j'aurai du mal à m'en relever, et ceux qui disent qu'il n'y a que la vérité qui fâche, c'est encore une ânerie, parce que moi, ce qui me hérisse, c'est le faux, comme quand ces moins qu'eux-mêmes, dans leurs colonnes,

me disent malin ou dilettante aisé, je veux bien qu'on ne m'aime pas, mais pas à cause de faux témoignages, bien assez de vraies raisons pour me honnir, pas besoin d'aller en chercher d'autres, bon, écoute, en gros, pour te résumer, avec ça tu peux me faire chanter, je te jure, dis-moi, tu veux quoi, combien, quand, où, et si jamais tu maintiens cette photo-là, ce sera sous peine de poursuites, et je cours vite, poursuites effrénées dans la rue en bas de chez toi, maintenant je sais où tu habites, il faudra bien que tu sortes.

Voilà, Olivier, mon projet de texte pour la photo que tu m'as envoyée, je vais te dire, j'ai surtout ri en me voyant, je suis bien sûr d'accord pour cette photo, pas de problème, mais tu m'as dit qu'on pouvait t'engueuler, alors tu parles que j'allais me gêner, mais c'est pour rire, bien sûr, et je t'embrasse bien.

  CHRISTIAN PRIGENT
 
  NICOLE CALIGARIS
 

L'autorité, ici, c'est Olivier Roller qui la détient de plein droit, comme la propriété de l'image. Placée au centre apparemment, en réalité placée à la lumière simplement pour en capter les rayons et les renvoyer vers la cellule de l'appareil photographique, on se retrouve objet. L'autorité, c'est-à-dire la signature, voilà ce qui a été cédé : on se retrouve signée Roller, marquée d'un style.

La mode a passé de la représentation du corps admirable : le magnifique n'émeut plus, c'est la faiblesse qui touche, où désormais va se loger, paraît-il, l'humanité. On est montrée dans sa lassitude, bientôt assombrie, déjà affaissée, ça se voit et c'est juste : on a plié l'échine. L'autorité habite la colonne vertébrale, c'est animal, on ne l'a plus ; et on est montrée dans son tassement, dominée, dirigée par le rapport privilégié de l'objectif à la lumière, dessinée par l'ombre, territoire de la lumière, voilà ce qu'on est, un corps comme ça, sur cette image, placé au service de la sensibilité photographique d'un carré de gélatine.

rien que du sable et du silence.

Je ne sais pas me reconnaître sur cette image. Je n'ai pas bien le sentiment d'avoir un lien originel avec ce corps représenté dont je sais qu'il est le mien. Il m'est impossible de lire ce visage, de lire cette attitude, comme il m'est impossible de lire mes écrits. Ce que dit le regard fixe, ce que disent les mains lâches, ne m'est pas destiné ni d'ailleurs à Olivier Roller, ni à personne. Je me vois comme une énigme : moi sans ma vie.

Les quelques portraits de moi que les amis me donnent, je les insère dans mon album des inconnus : portraits de famille, portraits de groupe, portraits posés ramassés dans les poubelles, aux puces, portraits de gens qui m'émeuvent sans m'être rien. C'est la même chose sur cette image : je ne me suis rien. Et ça me plaît de me voir comme une autre, soulagée de moi, déposée, incompréhensible.

Un message en suspens, voilà ce qu'est une énigme. Pour que ce portrait s'affranchisse de la signature de Roller et me relie, émotionnellement, aux regards inconnus, l'image dit vrai, il me faut passer du côté de l'angle noir : disparaître. C'est la raison pour laquelle je ne peux pas me voir en portrait et c'est la raison pour laquelle j'aime cette image, dans sa pureté janséniste, qui dit que tout portrait photographique est une vanité.

J'aime me voir au passé. C'est comme ça que me montre cette image et c'est juste : je traîne un peu, c'est vrai, je m'accroche au mur de la clarté ; j'appartiens à l'angle noir.

« À la fin il n'y a plus d'homme : rien que du sable et du silence. »

(extraits)

 
  PIERRE BERGOUNIOUX
 

(...) Comment arracher le portrait à l'académisme dont il est menacé par les règles qui lui sont immanentes - exactitude, centralité, concessions inévitables, apparemment, aux modes passagères, à la contingence de l'instant ? D'abord, en dépouillant le sujet du vêtement qui parlerait de son ancrage social, de l'heure qu'il est, de ce qu'elle ajoute aux images qu'on regarde, lorsque le temps a passé. Les visages de la Belle Epoque portent, à nos yeux - je l'ai dit- le reflet de la tragédie que les leurs ne voient point et qui va les emporter. Et l'on ne peut s'empêcher de trouver à ceux de l'entre-deux-guerres quelque chose de sinistre et de bas - Mauriac, dans son Cahier noir, évoque, en temps réel, « la France du Pernod et du bordel »- qui annonce la défaite et l'occupation, l'humiliation de tout un peuple.

Mais le temps, l'histoire n'est pas, on le sait, une fête costumée. Michelet, le premier, a montré qu'elle s'inscrivait dans nos plus intimes fibres. Les corps accusent, dans leur registre propre, la passion dont les âmes et les coeurs ont brûlé. Le duc Emmanuel, écrit-il, est «bossu de Piémont, ventru de Sardaigne », Robespierre, d'une propreté féline, saturé d'énergie sèche, comme une pile galvanique, « un chat ». Même dépouillée de ses oripeaux, notre chair porte le chiffre, reflète la lumière de son temps. Le nôtre, s'il diffère des précédents, c'est pour avoir conscience de déterminations qui leur restèrent cachées, parce qu'il vient après.

Un photographe de maintenant doit compter avec cette vérité. Si le regard est le miroir où se reflètent l'âme et le monde, le portrait, pour être contemporain de l'époque étrange, désenchantée, où nous sommes entrés, sera pris les yeux fermés. Et puis, un curieux dispositif en carton, qui disperse la lumière, boira les ombres, répandra sur le visage la pâleur inhumaine des défunts. C'est que les gens de mon âge sont morts, bien malgré eux, à la plupart des grands desseins qu'ils avaient formés. Le chapitre qu'ils pensaient écrire, est resté impublié. Les faces blêmes, aux yeux clos, d'O. Roller, sont celles d'hommes à l'espoir détruit, de «cadavres qui marchent ».

Une dernière chose, qui n'apparaît pas dans ses portraits mais qui en est la cause : c'est l'implication subjective intense qui s'ajoute à la composante mécanique, objective, du portrait. La plupart des photographes adoptent la neutralité affective, la distanciation inhérentes à l'usage d'un automate. En cela, ils s'inscrivent dans le processus mutiséculaire de rationalisation de l'existence et l'on se souvient que le philosophe d'origine écossaise, David Hume, définissait la raison, avec une parcimonie réjouissante : « un jugement calme ».

O. Roller entend fixer la physionomie d'une heure déconcertante entre toutes, mais historique, comme toutes les heures, qui est celle de la grande désillusion. Il n'y a d'objet, on le sait, que pour un sujet et c'est de l'autre, pour reprendre une formule de Lacan, que nous recevons notre message sous sa forme inversée. S'agissant de rendre visible l'espérance morte enfouie dans nos coeurs, il revient au photographe de faire l'appoint. Pour priver le sujet de vouloir, d'expression, presque de vie, O. Roller entre en transe. Sa voix s'enfle, sa respiration se fait tumultueuse, ses injonctions tyranniques. Une frénésie l'empoigne. Il appuie sur le bouton à l'acmé d'une danse chamanique qui laisse le sujet béant, comme exsangue, et l'opérateur geignant, hagard, époumoné. A ce prix, l'essence d'un moment, le nôtre, peut migrer dans la photographie. Celle-ci témoignera du désenchantement de l'existence, de l'absence au monde où notre génération est entrée, de son vivant.

(extraits)

 
  CLARA DUPONT-MONOD
 

On raconte n'importe quoi sur la photographie. Elle est toujours l'occasion de disgressions interminables auxquelles je ne comprends rien. « La photographie capte le réel », « la photographie ne capte jamais le réel, juste sa représentation », « ici l'image est trompeuse, car en deçà de l'évocation visible », blablabla... Dans tous les livres de photos, il ne faut jamais lire l'introduction, généralement compliquée, qui vient parasiter la seule présence de ce que l'on voit.

Reste cette photo de moi. Elle est double. Sur l'une, j'affiche une peur bleue. Sur l'autre, l'assurance des-filles-bien-dans-leur -peau. Alors, capte le réel ou capte pas ? Aucune importance. Ramener la photo à moi n'amènera rien. En revanche, la ramener au photographe, ça peut mener à quelque chose. Qu'est-ce qu'il a vu ? Qu'est-ce qu'il a senti ? Car c'est bien son regard, plus que le mien, qui est loquace. Le mien, il est évident : effroi et contentement. Bon. Mais le sien ? Est-ce qu'il n'était pas, en premier, plein d'effroi et de contentement ?

Peut-être qu'on prend en photo comme on écrit un livre. Les sentiments de l'artiste malaxent dans sa tête, descendent jusqu'au bras, fourmillent dans le doigts, et ça y est : ce fatras d'émotions déborde sur les mots ou l'image. Ce sont des supports. Des vecteurs. Des éponges. Parfois elles suintent, parfois elles restent sèches.

Ici, l'éponge est sacrément imbibée. Je n'ai pas peur de l'objectif. C'est lui qui a peur de moi. Il sursaute. Il se recule. Et c'est toute sa peur qu'il projette sur mon visage.

e ne souris pas à l'objectif. C'est lui qui me sourit. Il cajole. Il s'approche. Et c'est toute sa joie qui vient étirer ma bouche.

Mais alors, pourquoi deux photos ? Parce que. Et c'est tout. Ce jour-là, apeuré et charmé. C'est comme ça. Le photographe voulait. On ne définit pas les humeurs d'un regard. Puisque ce sont elles qui nous définissent.

 
  XAVIER PERSON
  Olivier Roller n'aime pas photographier des visages, cela ne l'intéresse pas, des visages d'écrivains encore moins. Pour lui un visage, c'est de la viande, une " tronche ", ce n'est rien, ou beaucoup, mais un visage, non, il ne voit pas ça comme un visage, rien de mystérieux à saisir, juste un morceau de chair qu'on appelle visage, mais ce n'est pas son problème, il dit qu'il s'en fout, il ne lit pas les livres de ceux qu'il photographie, ou parfois si, il veut bien les lire, cela l'intéresse même beaucoup, mais ce n'est pas la question, il ne vient pas pour les livres, encore que si sans doute, mais c'est quelque chose qu'il veut saisir et cette chose quant à savoir ce que c'est, quant à prétendre qu'elle serait autre chose que ce qu'elle est, qu'une simple " tronche ". Olivier Roller n'aime peut-être pas photographier du tout, c'est un peu outrancier de dire ça, mais je le connais bien maintenant, je crois que c'est un ami et je crois que je peux dire quelque chose comme ça, même si ce n'est pas tout à fait ça. Mais il y a de ça, oui, il y a dans sa manière de photographier quelque chose comme un refus, pas toujours, souvent. Dans sa manière d'être, d'être face à l'autre, de bouger, de se poser face à vous, toujours un peu de profil, sa manière de dire souvent " bof " ou qu'il " s'en fout, qu'il n'en a rien à foutre au fond ", qu'on " s'en tape ", je ne sais pas, je sens quelque chose comme un profond désespoir et une curiosité plutôt très lumineuse, je le vois comme un danseur, mais sur un fil, j'ai envie de dire quelque chose comme ça. Je dirais aussi que parfois Olivier m'agace, dans sa façon d'être un peu insaisissable, joyeuse car, oui, il y a quelque chose de joyeux chez lui, de lumineux mais en même temps de profondément sans espoir, de triste, même si je ne l'ai jamais vu triste, même s'il est toujours plein d'entrain, de désir, de vitalité, j'allais écrire vie mais je préfère vitalité. Olivier est quelqu'un qui interroge, qui demande. S'il vient chez moi il repart toujours avec quelque chose, un livre, une plante, un disque, un film, il fouille un peu et toujours il trouve quelque chose à emporter, de sorte qu'on pourrait dire qu'il ne donne pas, mais ce n'est pas ça ou alors si, mais s'il ne fait que prendre, c'est comme il prend ses photographies, dans une capture un peu sauvage, un peu sans gêne, comme s'il ne prenait pas des photographies mais qu'il vous prenait des photographies. Je connais des écrivains qui ont détesté être photographié par lui. J'ai une amie qui a franchement détesté sa photographie, où elle s'est trouvée d'une violente laideur. Elle m'a dit que son éditeur, lui, sur la photographie qu'Olivier avait fait de lui avait vu sa mort. Elle m'a répété ça comme ça, elle m'a dit " Paul a vu sa mort ". Olivier est quelqu'un qui parle assez peu, il a tendance à user d'interjections un peu creuses, vite agaçantes, du genre " chouette ", " d'enfer ", " géant ", " génial ", dans une sorte d'enthousiasme candide, peut-être un peu adolescent, d'une belle curiosité, qui parfois me semble un peu creuse, ou un peu éperdue, dans son insistance, cette recherche incessante, cette manière de s'émerveiller d'un rien, de sans cesse croire découvrir quelque chose, même s'il y a là quelque chose de très beau, même s'il y a chez lui cette énergie. Je dirais que j'ai avec Olivier Roller une relation de profil, comme s'il y avait quelque chose entre nous, une pudeur, qui nous empêchait de jamais réellement nous poser face à face. Avec lui, c'est toujours un peu des " il faut qu'on se voit ", même si parfois, mais de moins en moins, nous nous voyons réellement, dans cette sensation d'une présence furtive, pas fuyante, non, car il y a de la générosité chez lui, de la disponibilité à l'autre, pas fuyante mais, oui, virevoltante, insistante, désireuse, chercheuse, instable, inassouvie.

La photographie, très belle photographie, de cet éditeur qui croyait y avoir vu sa mort était de profil, dans une certaine dureté de ses traits, dans quelque chose de sculptural. La série de portraits qu'Olivier Roller a entrepris du visage de sa mère s'intitule " la muette ", c'est une suite de photographies assez dures et sombres, où c'est dans une sorte d'implacable noirceur qu'apparaît le visage de sa mère, dans une incarnation tranchante, une violence faite à la chair d'un visage, violence aimante sans doute, mais froide, sans détours. Un jour que nous parlions un peu plus, Olivier m'a confié qu'il n'avait jamais connu son père, qu'il ne l'avait jamais vu, que sa mère avait détruit toutes les photographies qu'elle avait de lui. Je ne veux pas dire que c'est le regard de son père qu'Olivier Roller recherche dans les yeux de ceux qu'il photographie de si près, je ne veux pas dire ça, même s'il y a sans doute de ça, même s'il y a vraiment quelque chose d'incroyable dans son regard à lui, une telle attente. Ce que je voudrais dire, ce que je pourrais vouloir dire ce serait plutôt que c'est, dans ses portraits parfois, comme un refus de la photographie qu'il est en train de faire, comme un désir et son échec, un élan et une impasse peut-être, le mur sombre d'un visage et sa clarté, le mur au fond de l'impasse d'un visage. Je veux juste dire peut-être que les photographies d'Olivier Roller ne veulent rien dire, qu'elles interrogent quelque chose comme leur propre insignifiance, comme leur mutisme, je ne sais pas.

 

 
 

SHOSHANA RAPPAPORT-JACCOTTET

 
 

CECILE GUILBERT

Je ne sais pas qui est la fille sur cette photographie